Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/186

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d’hui ? Singulière société où tout le monde se ruine. Jamais le paraître n’a été si impérieux, si despotique et si démoralisateur d’un peuple. Le camp du Drap-d’Or est, pour ainsi dire, dépassé par le luxe des femmes portant sur leurs dos presque des métairies. Ça en est venu à un tel point que nombre de magasins ouvrent des crédits à leurs clientes, qui ne payent plus que l’intérêt de leurs achats. On parle de la femme d’un haut fonctionnaire, dont on n’a pu me citer le nom, qui a tiré de son gendre 30 000 francs sur la corbeille de noces et avec lesquels elle a acquitté les dettes de son couturier. Un beau jour, demain peut-être, sera établi un grand livre de la dette de la toilette publique.

5 mars. — Charles Blanc, à l’Artiste, en train de reprocher à Théophile Gautier, avec force coups d’encensoir, de mettre tout au premier plan dans ses articles, de ne laisser ni repos ni parties plates, de tout faire étinceler.

— Voyez comme je suis malheureux, dit Gautier, tout me paraît plat. Mes articles les plus colorés, je trouve ça gris, papier brouillard. Je f… du rouge, du jaune, de l’or, je barbouille comme un enragé, et jamais ça ne me paraît éclatant. Et je suis très embêté, parce que, avec ça, j’adore la ligne et Ingres… Mon opinion sur Molière, vous voulez l’avoir, sur Molière et le Misanthrope. Eh bien, ça me semble infect. Je vous parle très franchement : c’est écrit comme un cochon !