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9 novembre. — Été au Petit-Trianon pour pénétrer dans le chez-soi intime de Marie-Antoinette. Voilà donc ce joujou de reine, dont on a fait une si monstrueuse folie, ce Trianon le grand chef d’accusation contre la pauvre femme. Mais les moindres financiers ont fait bien pis, et je ne sache pas qu’une pièce du mobilier ait été payée le prix que Mme de Pompadour avait accordé pour une chaise percée, destinée au château de Bellevue : 800 livres de pension que touchait un ouvrier du faubourg Saint-Antoine, au dire de d’Argenson.

Le bon Soulié, qui nous guide, nous dit combien cette Marie-Antoinette, cette ombre charmante et dramatique de l’histoire, est l’occupation de la pensée de l’étranger. C’est M. de Nesselrode lui demandant à lui indiquer l’endroit de l’entrevue d’Oliva, et lui envoyant Georgel à lire, et que le diplomate sait par cœur. C’est le prince Constantin, amoureux de son souvenir, et laissant presque éclater de la colère, de ne pouvoir rester, toute la journée, à causer d’elle, si près d’elle.

Et nous allons religieusement émus dans ce passé tout présent, tout vivant encore en ces arbres, ces eaux, ces rochers, ces pavillons, cet opéra-comique de la nature, cette berquinade de la princesse et d’Hubert Robert, marchant peut-être où elle a marché, et coudoyant des bourgeois irrespectueux, et où rien ne rappelle plus la royauté qu’une sentinelle ridicule, du haut d’un pont rustique, s’efforçant d’empêcher un cygne en fureur de battre les autres.