Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/287

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première eau-forte que je fais tirer chez Delâtre : le portrait d’Augustin de Saint-Aubin… Oui, voilà plusieurs jours que nous sommes plongés dans l’eau-forte, mais jusqu’au cou et même par-dessus la tête. Particularité étrange, rien ne nous a pris dans la vie comme ces choses : autrefois le dessin, aujourd’hui l’eau-forte. Jamais les travaux de l’imagination n’ont eu pour nous cet empoignement, qui fait absolument oublier non seulement les heures, mais encore les ennuis de la vie, et tout au monde. On est de grands jours à vivre entièrement là-dedans. On cherche une taille comme on ne cherche pas une épithète, on poursuit un effet de griffonnis comme on ne poursuit pas un tour de phrase. Jamais peut-être, en aucune situation de notre vie, autant de désir, d’impatience, de fureur d’être au lendemain, à la réussite ou à la catastrophe du tirage.

Et voir laver la planche, la voir noircir, la voir nettoyer, et voir mouiller le papier, et monter la presse, et étendre les couvertures, et donner les deux tours, ça vous met des palpitations dans la poitrine, et les mains vous tremblent à saisir cette feuille de papier tout humide, où miroite le brouillard d’une image à peu près venue.

— Au café Riche, un vieillard était à côté de moi. Le garçon, après lui avoir énuméré tous les plats, lui demanda ce qu’il désirait : « Je désirerais, dit le vieillard, je désirerais… avoir un désir. » — C’était la Vieillesse, ce vieillard.