Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/316

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d’un petit escalier, et au bout d’un corridor noir, nous entrons dans une loge tout engorgée de monde, et à la porte de laquelle on fait queue, un bon moment. Et ce sont des effusions pareilles aux effusions de la sacristie à un mariage. Au milieu d’hommes qui s’effacent pour les laisser passer, des avalanches de femmes se précipitent sur Lia, l’embrassent. Et bientôt, sous le coup des émotions de la soirée, de l’ébranlement des nerfs de chacun, l’embrassade devient générale, et de bonne foi dans le moment. Au milieu du désordre des houppes, des pots de cold-cream, des cartons à serrer les fausses nattes, dans la lumière fumeuse et sentant la mauvaise huile de deux quinquets de cuivre à globes de lampe, assise sur un tabouret de piano, recouvert de maroquin gris perle, Lia, qui a l’air d’un petit séraphin gothique de maître primitif, et dont le corps grêle est perdu dans les grands plis d’une robe de chambre brune, aux compliments qu’on lui fait sur le talent qu’elle a su déployer, aux reproches qu’on lui adresse d’avoir été trop vite, Lia, la tête soulevée au-dessus de l’affaissement de tout son corps, répète d’un air à la fois hébété et tendre : « Ah ! mes enfants ! mes enfants ! »