Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Jeudi 10 mai. — … Ce soir Gavarni nous parle de ses amours réalisées et de ses amours ébauchées, de cent cinquante femmes environ, allant des créatures les plus quintessenciées aux dernières gourgandines, — dont il a aimé à fond la moitié, et courtisé de très près l’autre moitié. Parmi ces amantes, revient dans ses souvenirs une femme prise d’un vrai sentiment pour lui, et qu’il a toujours respectée à cause de relations avec sa famille. Et il raconte que, lorsqu’elle avait été bien sage, il l’emmenait déjeuner chez Bancelin, où il y avait un lit et des pantoufles dans les cabinets, et que la pauvre femme, à la vue de ces choses, qui n’étaient pas faites pour elle, se mettait à pleurer.

Nous lui demandons s’il a jamais compris une femme ? « Une femme, mais c’est impénétrable, non pas parce que c’est profond, mais parce que c’est creux ! » Nous lui demandons encore s’il a été jamais vraiment amoureux ? « Non, je n’ai aimé bien réellement que mon père, ma mère, mon enfant ! »

— L’esprit ne dort pas dans le sommeil, mais il semble tomber, la nuit, sous l’esclavage des sensations physiques qui le régissent.

25 mai. — Il y a en nous un instinct irraisonné qui nous pousse à l’encontre des despotismes d’hommes, de choses, d’opinions. C’est un don fatal que l’on reçoit en naissant, et auquel on ne peut se soustraire. Il y a des esprits qui naissent domestiques et