Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/388

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pas même au milieu, à côté de la signature du propriétaire, le sang d’un pou écrasé, — tout cela imité merveilleusement avec de la plume, de la mine de plomb, une goutte d’aquarelle, et les dents du peigne brèche-dents découpées dans le carton. Cette carte est l’abomination de la dégoûtation.

Dimanche 18 avril. — Flaubert nous racontait aujourd’hui qu’avant d’aller chez Lévy, il avait proposé à Jacottet, de la Librairie Nouvelle de lui éditer Madame Bovary. « C’est très bien, votre livre, lui avait dit Jacottet, c’est ciselé… mais vous ne pouvez pas, n’est-ce pas, aspirer au succès d’Amédée Achard, dont je publie deux volumes, et je ne puis m’engager à vous faire paraître cette année. » — « C’est ciselé, rugit Flaubert. Je trouve ça d’une insolence de la part d’un éditeur ! Qu’un éditeur vous exploite, très bien ! mais il n’a pas le droit de vous apprécier. J’ai toujours su gré à Lévy de ne m’avoir jamais dit un mot de mon livre. »

Lundi 6 mai. — À quatre heures, nous sommes chez Flaubert qui nous a invités à une grande lecture de Salammbô, en compagnie du peintre Gleyre. De quatre à sept heures, Flaubert lit avec sa voix mugissante et sonore, qui vous berce dans un bruit pareil à un ronronnement de bronze. À sept heures on dîne, et aussitôt le dîner, après une seule pipe fumée, la lecture recommence, et nous allons de lectures en résumés de morceaux qu’il analyse, et dont quelques-uns ne