Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/158

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ses cravates de Mazulipatam ; et les bijouteries qui le sillonnent, en serpentant, font de lui comme le Laocoon des chaînes de montre.

Nos yeux, au milieu de tout ce monde, ne se reposent et ne se consolent que sur une famille espagnole au grand complet : la grand’mère, la mère et trois petites filles. La grand’mère, l’aïeule avec ses cheveux gris, la ligne de blancheur de sa collerette, l’engoncement solennel dans le satin noir de sa robe montante, sa carnation ressemblant à une ébauche grasse et beurrée, de Vélasquez, en sa coloration violette aux glacis argentins. Et elle semble entourée des petites infantes du maître, assises à côté d’elle, de ces petites senoritas, la raie de côté, les cheveux piqués du rouge d’un ruban ou d’une fleur de grenadier, le sourcil tressaillant, le front bossué, le teint chaudement pâle avec la tache de fard de leurs joues, un vermillonnement à la Goya. — Je les voyais tout à l’heure dans le jardin, les petites senoritas, vives comme le vif-argent, et déjà jambées de mollets de danseuses, petites-filles des fameuses saltatrices gaditanes.

Et autour de ce monde de tous visages et de toutes langues, tournent les trois automates du service, la maîtresse d’hôtel, une Auvergnate à mine de misère, montrant sur elle la désolation d’une porteuse d’eau qui a renversé ses seaux, un petit domestique moyenâgeux, une espèce de varlet drolatique, arrivé tout ahuri de la charrue, les cheveux en essuie-plume, et la bouche riante montrant des dents en