Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

15 janvier. — Dîner Magny.

Taine proclame que tous les hommes de talent sont des produits de leurs milieux. Nous soutenons le contraire. Où trouvez-vous, lui disons-nous, la racine de l’exotisme de Chateaubriand : c’est un ananas poussé dans une caserne ! Gautier vient à notre appui, et soutient pour son compte que la cervelle d’un artiste est la même du temps des Pharaons que maintenant. Quant aux bourgeois, qu’il appelle des néants fluides, il se peut que leur cervelle se soit modifiée, mais ça n’a pas d’importance.

— Se trouver en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là, à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour présent, juger le journal, remuer le passé, comme si l’on tisonnait l’histoire, faire jaillir au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison,