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nous passons le petit pas, entrons dans cette chambre à la fois nue et encombrée, au lit de fer sans rideaux, et qui a l’air d’un campement dans une bibliothèque en désordre.

Du lit, deux mains se tendent chaudes et douces. Vaguement, nous percevons une tête tout enchiffonnée, un corps auquel la souffrance et le ramassement sous les draps ont presque ôté sa forme.

— « Mal… cela va mal ! » C’est sa première phrase.

— Mais pourtant les médecins…

— Qui, les médecins ? répond-il, avec une note colère dans la voix, je n’ai plus de médecins, ils m’ont abandonné !… D’Alton-Shée m’a donné Johnston… Phillips a été très gentil, mais c’est pour la chirurgie… peut-être y viendrai-je demain… je ne peux plus maintenant passer trois heures sans me sonder… et puis je vais sur le vase… et des minutes à me tordre… des spasmes de vessie… oh, affreux ! »

Et il entre dans tout le détail technique de son horrible maladie, parlant du pus qu’il rend par l’anus, comme s’il voulait, en appuyant sur les dégoûts qu’il a de lui-même, désarmer le dégoût des autres… Il nous paraît désespérément résigné… Un moment il reprend haleine, puis nous dit : « Je me fais encore lire… mais à bâtons rompus… vous comprenez… je ne peux plus assembler mes idées. » Un silence. Et le mot : « Adieu » et il nous retend les deux mains, retournant la tête au mur.