Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/253

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princesse, le gros dos de Gautier, qui, assis, à la turque, les jambes croisées, se balançant sur ses deux bras, ainsi raccourci, a comme la taille d’un Triboulet nain. Il est aux pieds du fauteuil de Sacy qui lui parle par-dessus l’épaule, et dont le mépris enjoué a l’air de tomber de haut sur ce bizarre candidat romantique. Je souffrais de voir mon Théo dans cette pose… Ah ! ce désir de l’Académie !… Et cela relevé de tant de grâce mélancolique et malade et de bouffonnante ironie : du Falstaff et du Mercutio mêlés.

Une toux profonde lui ébranle, de temps en temps, la poitrine, et alors la plaisanterie cruelle circule dans le salon, qu’il tousse pour entrer à l’Académie. Puis il s’est assis dans un petit fauteuil près des jupes de la princesse, sa tête s’est abaissée, ses grosses paupières pesantes sont tombées sur ses yeux, et un lourd sommeil, aux mains pendantes en avant, semble l’incliner vers une de ces morts, dont on ramasse le décédé, le nez sur le parquet. De tristes pressentiments nous viennent sur notre ami, et l’homme que tous voient sur le seuil de l’immortalité académique, — nous le voyons cloué dans son cercueil.

Un moment qu’échappé au sommeil, il se trouve à côté de Saint-Victor, le critique de la Liberté lui dit, avec la crispation lui venant, dans le salon de la princesse, à la vue de notre bande d’intimes :

— Eh bien ! j’espère, tu as fait sur Ponsard un article… C’est un homme de génie maintenant.

— Oh ! dit bonnement Gautier, ça a si peu d’im-