Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/256

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Notre impression toute première fut de voir en lui un normalien, à l’encolure de Sarcey, dans le moment, légèrement crevard, mais en le regardant bien, le râblé jeune homme nous apparut avec des délicatesses, des modelages de fine porcelaine dans les traits de la figure, la sculpture des paupières, les curieux méplats du nez ; en un mot un peu taillé en toute sa personne à la façon des vivants de ses livres, de ces êtres complexes, un peu femmes parfois en leur masculinité.

Puis un côté frappant chez lui, c’est le côté maladif, souffreteux, ultra-nerveux, vous donnant par moments la sensation pénétrante d’être aux côtés d’une mélancolique et révoltée victime d’une maladie de cœur.

En somme, un homme inquiet, anxieux, profond, compliqué, fuyant, peu lisible.

Il nous parle de la difficulté de sa vie, du désir et du besoin qu’il aurait d’un éditeur l’achetant, pour six ans, 30 000 francs, et qui lui assurerait ainsi, chaque année, 6 000 francs : le pain pour lui et sa mère, — et par là lui donnerait la faculté de faire « l’Histoire d’une famille », un roman en huit volumes. Car il voudrait faire de grandes machines, et plus de ces articles « infâmes, ignobles, crie-t-il, sur un ton qui s’indigne contre lui-même, oui, les articles que je suis obligé de faire à la Tribune, au milieu de gens dont il me faut prendre l’opinion idiote… Car il faut bien le dire, ce gouvernement avec son indifférence, son ignorance du talent, de tout ce qui se produit, rejette nos misères aux journaux de l’opposition, les seuls qui