Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/300

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lat qui traîne et fait sur ses galoches ces bourrelets de plis, que Gavarni tirebouchonne au bas de ses pantalons d’inventeurs, — et une canne sous le bras, et toujours une pipe éteinte à la bouche. Il se promène dans un va-et-vient étroit, tournant autour de la porte d’Auteuil, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il gèle, qu’il neige, insensible aux intempéries, et le regard au ciel, disputant, grommelant, s’emportant dans le vide avec la voix aigre, l’espèce de claquette d’un maniaque.

Le dimanche, assis un moment, dans la salle d’attente, au milieu des gens en joie, versés par le chemin de fer, nous l’avons vu tirer de sa poche un petit livre noir, un livre de prières à l’aspect anglican, puis reprendre sa promenade de manège, coupée par deux ou trois paroles qu’il jette à l’homme à l’X toutes les fois qu’il passe devant lui.

Très souvent, ce personnage original a avec lui, un garçonnet délicat, élégant, frêle et frileux, suspendu à son bras, et se faisant traîner paresseusement, à la façon d’un pâle enfant fatigué, un garçonnet auquel il parle brusquement, et qu’il fait volter, à tout moment, sous la secousse et la tempête de son agitation nerveuse. Mais le garçonnet ne l’écoute pas, il a le regard égaré au loin, laissant aller devant lui ses deux grands beaux yeux noirs, qui ont des cils longs d’un doigt, des yeux de langueur et de maladie ; et, hiver comme été, il est enveloppé d’un cache-nez, dont le tortillage autour de son cou prend l’apparence gracieuse d’un châle, et lui donne