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Sainte-Beuve de toute sa vie, l’homme toujours mené dans sa critique par les infiniment petits, les minces considérations, les questions personnelles, la pression des opinions domestiques autour de lui[1].

18 avril. — Il faut avoir la fièvre pour bien travailler, et c’est cela qui nous consume et nous tue.

Jeudi 22 avril. — À propos de notre article sur Jean-Michel Moreau paru dans la Revue d’art qu’il dirige, nous allons ce matin chez Feydeau, que nous croyons seulement un peu souffrant.

Nous faisons passer nos cartes à sa femme, et nous attendons dans l’antichambre. Toujours plus beau, et encore plus joliment frisotté de boucles d’or, et

  1. La raison principale qui empêcha Sainte-Beuve de faire les articles, je l’ai donnée dans une note jetée au bas d’une lettre de mon frère à Zola du 10 avril 1869 :

    « À quelques jours de là (de la visite à Sainte-Beuve) la princesse nous félicitant d’avoir un article de Sainte-Beuve, l’un de nous lui répondit : « Princesse, il n’y a pas tant à nous complimenter, M. Sainte-Beuve ne nous a pas laissé ignorer que ce serait un éreintement. »

    Un étranger qui se trouvait là, allait aussitôt rapporter notre réponse à Sainte-Beuve. Le mot éreintement, dans la langue familière du journalisme, est synonyme de critique et ne veut rien dire de plus. Mais Sainte-Beuve, je l’ai toujours vu avoir peur du mot, du mot qui n’était pas un mot pondéré. « Éreintement, répéta-t-il, tout à fait blessé ; je fais de la critique, je ne fais pas d’éreintement. »

    Et il abandonna son article, qui, je crois, était commencé. »