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5 mai. — Chez Feydeau.

Sa femme nous fait entrer dans sa chambre. Couché, allongé sur son lit, en une complète immobilité, ainsi qu’un beau mort arabe à la barbe noire et blanche, il nous dit : « Je ne suis pas encore mort ! » en nous serrant la main de sa main droite, celle qui est encore bonne. Puis, il a ajouté quelques mots d’une voix brève, nerveuse, saccadée, et rentre dans ce silence sans mouvement, qu’ont les malades, relevant de ces coups de foudre, et qui semblent avoir la crainte de remuer leur mal.

 

En sortant de là, nous tombons chez la princesse, aujourd’hui tout animée, toute verveuse, et dans une robe de crêpe bleu, d’un délicieux bleu faux de Chine, et brodée de bouquets exotiques dont la broderie a l’épaisseur des fleurs.

Ce matin, elle est allée aux Tuileries, et comme on lui parlait de l’air de bonne et gaie santé qu’on avait trouvé à l’Empereur à son dernier jeudi, elle dit : « Oh ! lui, il est si drôle ! Il n’est jamais plus guilleret, que lorsque toutes les cartes de la politique sont brouillées. On dirait que l’inconnu l’amuse… Il est si étrange… Il y a une créature, une Anglaise qui avait acheté à Mazzini un revolver, pour tirer sur lui… Elle a eu le front de lui demander une audience. Elle s’est jetée à ses pieds, a imploré son pardon, cette gueuse-là !… Mais voilà le plus fort !… Elle a eu une invitation à la Cour, je l’ai vue à un bal des Tuileries… Ah ! de singulières choses, allez… Au fait,