Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/48

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son argent, en le faisant filer dans ses manches et en le cachant dans ses souliers. — Elle, ma sœur… elle n’a pas cette chance-là, elle est d’hier à la Tour Pointue (la Préfecture)… C’est la neuvième fois, moi je n’y ai été encore que deux fois.

— Quel âge as-tu ?

— Douze ans ! Et il rapporte une pièce douteuse au commis, en disant : — Ce n’est pas vous qui me le mettrez… Tiens, dit-il gravement, voilà mon associé… voilà Arthur. Ça, fait-il en montrant d’autres mômes à la porte, c’est mes ouvriers… moi je veille pour la rousse… je guette au pet.

— Pourquoi a-t-on arrêté ta sœur ?

— Elle vendait des fleurs… ils ne veulent pas et ils laissent les Italiens… la rousse ne leur dit rien. Et pêle-mêle toutes sortes de choses lui sortent de la bouche comme des crapauds : « Ah ! les femmes… je les aime-t’y, moi !… les femmes… quand je serai grand, il m’en faudra cinq à chaque bras… que je me fourre dedans. » Puis ce sont des bribes de chansons ordurières, puis un passé d’hôpital : « J’y ai été deux fois aux Enfants-Trouvés et à l’Enfant-Jésus… J’avais du mal dans la tête… Ils ne m’ont rien fait… Moi, je m’ai sauvé… et je m’ai mis du saindoux… ça me fait friser les cheveux… Nom de Dieu ! j’ai fait mes cinq francs aujourd’hui. »

Une petite de neuf ans, une de ses ouvrières, une bamboche aux yeux déjà ardents de femme et de voleuse, se glisse dans la boutique.

— Combien ?