Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/113

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rares conserves de légumes. Puis après quelques secondes de silence, où sa méditation s’appuie lourdement sur mon bras, il dit soudain : « Est-ce bien un désastre ? Est-il concret ! D’abord la capitulation, aujourd’hui la famine, demain le bombardement… Hein ! est-il composé d’une manière artistique, ce désastre ? »

Il reprend : « Mais est-ce curieux que le courage, la valeur, cette chose qui semblait un produit si français, n’est-ce pas ? — c’était la conviction de tout le monde que nous étions héroïques de naissance, — eh bien, ça n’existerait plus ?… N’avez-vous pas vu ces matassins auxquels on a retourné leurs habits… et à la figure desquels, on a convié la population de cracher ?… »

« Mon cher Théo, lui dis-je, en le quittant, mon avis est que la blague a tué toutes les imbécillités héroïques, et les nations qui n’ont plus de ça… sont des nations condamnées à mourir. »

Jeudi 27 octobre. — Au viaduc du Point-du-Jour, des accumulations de sable, de chaux, des montagnes de moellons. Un sol défoncé par les charrois, et où les pieds butent dans la boue, contre les rails du nouveau chemin de fer, destiné à doubler l’ancien. Partout des maçons sur des échafaudages, des seaux d’eau montant de la Seine, au bout d’une poulie pittoresque, du mortier qu’on gâche, des pierres volant de main en main, des contreforts qui