Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/115

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guerre. Dans la grande rue d’Auteuil, précédés d’un soldat tenant le cheval par la bride, je vois passer, à cacolet, deux lignards, le teint terreux, et leurs pauvres reins fléchissant à chaque cahot, et leurs pieds débiles s’efforçant de s’arc-bouter à la petite planchette de l’étrier. Cela fait mal. Des blessés, c’est la guerre, mais des gens que tuent le froid, la pluie, le manque de nourriture, c’est plus horrible que les blessures de la bataille. « Ils sont de mon régiment, dit une cantinière, — voyageant avec moi dans l’omnibus, — de mon régiment, le 24e de marche ; tous les jours, on en emmène comme ça. » Et dans son accent perce comme le découragement de ceux à qui elle verse à boire.

Sur la pierre grise du Panthéon, au-dessous de l’or de sa croix, se détache une immense tribune, aux draperies rouges des escaliers de marchands de vin. Une grande bande porte : Citoyens, la Patrie est en danger. Enrôlements volontaires des gardes nationaux. Au-dessus, un écusson représentant le navire d’argent de la ville de Paris, est surmonté d’un faisceau de drapeaux, que couronne un drapeau noir, où flottent dans ses plis funèbres, les noms de Strasbourg, Toul, Châteaudun. Les dates de 1792, 1870, sont inscrites aux deux extrémités, sous des oriflammes tricolores. Aux piliers sont accrochés des boucliers de carton sur lesquels se lisent les deux lettres : R. F.

La tribune immense est toute pleine de képis galonnés d’argent, d’épaules luisantes sous le caoutchouc des manteaux mouillés, entre lesquelles passe