Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/123

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Nécessairement la révolution d’hier est le sujet de la conversation. Hébrard, qui y a assisté dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville, déclare qu’on ne peut avoir une idée de la crapuleuse imbécillité dont il a été témoin. Il a vu un groupe voulant porter Barbès : les bonnes gens ignoraient encore qu’il fût mort. « Pour moi, dit Berthelot, de très bonne heure, voulant savoir où nous en étions, j’ai été demander à une sentinelle de l’Hôtel de Ville : — Qui est là ? qui gardez-vous ? — Parbleu, m’a-t-il répondu, je garde le gouvernement de Flourens ! Elle ne savait pas, cette sentinelle, que le gouvernement qu’elle gardait, avait été changé. Que voulez-vous, si la France en est là !… »

Louis Blanc reprend avec une parole douceâtre, lente à sortir, et qu’il retient, un moment, dans sa bouche, comme si c’était un bonbon délicieux : « Tous ces hommes d’hier se nommaient eux-mêmes, et à leurs noms, pour les faire passer, ils ajoutaient quelque nom connu, quelque nom illustre, ainsi qu’on met une plume à un chapeau. » Il dit cela, de son ton mi-pincé, mi-sucré, avec au fond l’amertume secrète du peu que son nom, si populaire en 1848, pèse sur les masses, et, il faut bien le reconnaître, du peu que les illustrations et les célébrités pèsent, aujourd’hui, sur une populace amoureuse du néant chez ses maîtres.

Et le petit Louis Blanc, à l’appui de son dire, tire de la petite poche de sa petite culotte une liste imprimée de vingt noms, soumise au suffrage des ci-