Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/149

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les répercussions des chassepots de la rive droite.

Je suis seul, et j’ai dans la mémoire et dans les yeux, la pâleur des nombreux soldats malades, que je viens de voir passer sur des cacolets. Je vais, à travers le triste abatis, à des arbres, sous lesquels je me suis assis avec mon frère, sous lesquels je l’ai vu si triste. Ils sont morts aussi, les arbres… Des coupes de bouleaux s’étendent devant moi, et font, avec leurs troncs blancs, comme des coins de cimetière… Sur la route abandonnée, les semelles de vieux souliers se mêlent, dans la boue, aux branchages desséchés.

Près de la cascade, je côtoie un campement sous bois, une agglomération de masures, de cabanes, de huttes, fabriquées pittoresquement de fragments de planches, de morceaux de zinc, de terre battue, avec leurs portes de branches tournant sur des gonds de lianes, et avec leurs fenêtres faites d’un morceau de vitre trouvé par aventure. Le café de la Cascade, le café des noces parisiennes, est une ambulance. Le lac supérieur a été mis à sec, et mon pas fait envoler des nuées d’oiseaux, cherchant des vers dans la vase. Plus d’eau cascadante, et dans l’espèce de boue restée dans le bassin, des soldats, encastrés dans les anfractuosités du rocher, lavent leurs chemises sales.

La pluie a cessé, un jour net, clair, cristallin, nettoyé de toute vapeur, dessine d’une manière presque aiguë les petites villas étagées sur les collines, et la masse rectiligne du Mont-Valérien, derrière lequel se couche le soleil dans un admirable effet. Le ciel