Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/160

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par la brèche du mur, jouissant avec mes voisins, gardes nationaux et blousiers, de cet ébranlement du ciel, paraissant par moments se communiquer au sol, que j’ai sous les pieds.

La canonnade dure toute la journée : toute la journée ces roulements et ces grondements de la mort ; pas une seconde, sans une succession de ces foudres, et qui, à la distance où elles sont, mettent à l’horizon, comme les coups de ressac d’une grande mer.

Je suis un peu souffrant. Je n’ai pu aller cet après-midi à Paris. Je prête l’oreille au bruit de la rue, qui vous raconte le bon ou le mauvais des choses publiques, avec le pas du passant, avec le son de sa voix : rien. Ce soir, la rue ne dit rien.

Jeudi 1er décembre. — Rue de Tournon, à la clarté des bougies, courant sous une porte cochère, et éclairant de leurs lueurs voltigeantes la lividité d’une face, coiffée d’un mouchoir à carreaux, je vois descendre d’une tapissière, un corps raidi dans une immobilité de cadavre, et dont s’échappe un cri, à chaque tâtonnement des mains, qui le portent à l’ambulance. C’est un mobile qui a eu la cuisse cassée, hier à onze heures du matin, et qu’on vient de ramasser sur le champ de bataille, aujourd’hui à la nuit.

Dans l’omnibus, j’ai à côté de moi un carabinier parisien, tenant sur les genoux un casque prussien de