Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/186

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du canon, où les dessins désencadrés sont dans les cartons, où les cadres, avec leurs réjouissantes sculptures et leurs éclairs de vieil or, sont cachés dans des enveloppes de sales journaux, où les livres, ficelés en paquets, sont étalés à terre, où la pièce d’artiste que l’on habite, présente l’aspect d’un arrière-fond d’épicerie.

Aux jours où nous sommes, beaucoup de petits bourgeois se couchent à sept heures et se lèvent à neuf. On a moins faim au lit, et on n’y a pas froid.

Une expression et une image, nées du siège. J’entends un militaire dire à un autre : « Pour moi, ce qui m’attend là, c’est une fricassée de pain sec ! »

Jeudi 29 décembre. — On a beaucoup écrit sur la démoralisation produite dans les hautes classes par le régime dernier. Moi, je suis surtout frappé de la démoralisation de la classe ouvrière par le luxe de bien-être que lui a donné l’Empereur. Cette classe, je la vois complètement avachie. De virile, de martiale, de hasardeuse qu’elle était, elle est devenue loquace, et très économe de sa peau. Cet aveugle amour des coups, qui, du temps de Louis-Philippe, faisait compter pour toute émeute, en faveur de n’importe quelle opinion, sur cinq cents Parisiens prêts à se faire casser la gueule, pour le plaisir de se battre, pour l’émotion héroïque du coup de fusil, cet amour des coups a disparu, ainsi qu’a pu s’en apercevoir le gouvernement de quelques heures du 31 octobre ; et