Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/216

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Sur la place de la Concorde, près des drapeaux fripés et des immortelles déjà pourries de la ville de Strasbourg, une compagnie campe, noircissant de ses feux, les murs du jardin des Tuileries, et de ses lourds sacs, faisant comme un blindage à la balustrade. En passant au milieu d’eux, l’on entend des phrases comme celle-ci : « Oui, notre pauvre petit adjudant, on l’enterre demain ! »

Nous avons vu, successivement, les boutiques des charcutiers devenir des endroits vides, ornés de faïences jaunes et d’aucubas à la feuille marbrée de blanc ; les boutiques de bouchers, des locaux aux rideaux clos derrière les grilles cadenassées ; aujourd’hui c’est le tour des boutiques de boulangers, qui sont des trous noirs, aux devantures hermétiquement fermées.

Burty tenait de Rochefort que, lorsque Chanzy avait vu ses troupes fuir, il les avait chargées, l’épée à la main, mais voyant que coups et injures ne faisaient rien, il avait donné l’ordre à l’artillerie de les canonner.

Une phrase bien symptomatique. Une fille, me marchant dans le dos, rue Saint-Nicolas, me jette à l’oreille : « Monsieur, voulez-vous monter chez moi… pour un morceau de pain ? »

Dimanche 22 janvier. — Ce matin, je déménage ce que j’ai de plus précieux, au milieu des éclats d’obus, tombant à droite et à gauche, anxieux qu’un éclat