Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/239

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pas un vivant dans la rue, pas une lumière aux fenêtres, et par les rues à l’aspect morne, je vois passer des Bavarois, qui se promènent, quatre par quatre, mal à l’aise dans cette mort de la ville.

Jeudi 2 mars. — Il est neuf heures du matin et rien encore. J’ai en moi un singulier sentiment d’allègement. Nous échapperons peut-être aux Prussiens. Je descends au jardin. Il fait un beau ciel de printemps, plein d’un jeune soleil, et tout caquetant du gazouillement des oiseaux. La nature dont j’ai dit tant de mal, se venge, hélas ! cruellement de moi. Je suis pris, enlacé, abêti par elle. Mon jardin devient toute l’occupation, toute l’ambition de ma pensée.

Je veux tenter d’aller à Paris, et malgré mon désir de ne pas voir de Prussiens, je pousse jusqu’à Passy. À la Muette, à l’état-major du secteur, des sentinelles bavaroises. Dans la rue, des groupes calmes et non provocateurs de soldats, qui se promènent ou considèrent niaisement des manches sculptés de parapluie. Sur le pas de toutes les portes, un béret bavarois. En dépit d’une affiche jaune, invitant les boutiquiers à fermer, toutes les boutiques sont ouvertes. Et au milieu de bourgeois et d’ouvriers, regardant indifféremment l’étranger, seulement quelques vieilles femmes, dont l’exaltation se traduit par le courroux des yeux, et le marmottage d’injures, qu’elles crachent de leurs bouches édentées, en marchant.