Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/245

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tant vu depuis six mois, que rien ne semble plus l’émouvoir.

J’arrive à la gare d’Orléans, où est déposé le corps du fils Hugo. Le vieux Hugo reçoit dans le cabinet du chef de gare. Il me dit : « Vous avez été frappé, moi aussi… mais moi, ce n’est pas ordinaire, deux coups de foudre dans une seule vie ! »

Et le convoi se met en marche. Une foule étrange, dans laquelle je reconnais à peine deux ou trois hommes de lettres, mais où il y a un grand nombre de chapeaux mous, au milieu desquels s’infiltrent, à mesure qu’on avance et qu’on traverse les quartiers à cabarets, des soulards, qui prennent la queue en titubant. La tête blanche de Hugo, dans un capuchon, domine derrière le cercueil ce monde mêlé, semblable à une tête de moine batailleur du temps de la Ligue.

Tout autour de moi, on parle de provocation, on plaisante Thiers, et Burty m’agace horriblement avec ses ricanements et son apparente incompréhension du mouvement révolutionnaire, qui se prépare autour de nous. Je suis très triste et plein des plus douloureux pressentiments.

Les gardes nationaux armés, parmi lesquels le convoi s’ouvre un chemin, présentent les armes à Hugo, et nous arrivons au cimetière.

La bière ne peut entrer dans le caveau… Vacquerie prononce un long discours.

Nous revenons. L’insurrection triomphante prend possession de Paris. Les gardes nationaux foison-