Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/248

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Nous voyons presque dans ce qui se passe, dans les violences du jour, une chance donnée à l’extrême de ce qui triomphe aujourd’hui, une chance donnée au comte de Chambord. Berthelot craint, pour son compte, par là-dessus la famine. Il vient de traverser la Beauce, que le manque de chevaux a fait ensemencer d’orge.

Je prends ma course vers l’Hôtel de Ville. Un homme, une brochure à la main, crie : Trochu découvert et mis à nu. Un aboyeur de l’Avenir national vocifère : Arrestation du général Chanzy.

Le quai et les grandes rues qui mènent à l’Hôtel de Ville, sont fermés par des barricades, avec des cordons de gardes nationaux en avant. On est pris de dégoût, en voyant leurs faces stupides et abjectes, où le triomphe et l’ivresse mettent une crapulerie rayonnante. À tout moment, on les voit, le képi de travers, ressortir de la porte entre-bâillée des boutiques de marchands de vin, les seules ouvertes aujourd’hui. Autour de ces barricades, un ramassis de Diogènes de carrefours, et de gras bourgeois, aux professions douteuses, fumant une pipe de terre, leurs épouses sous le bras.

Au campanile de l’Hôtel de Ville, un drapeau rouge, et au-dessous le grouillement d’une plèbe armée, derrière trois canons.

En revenant, je trouve une indifférence ahurie, quelquefois une ironie triste, le plus souvent un consternement, au-dessus duquel se lèvent les bras désespérés de vieux messieurs, avec un regard prudemment circulaire autour d’eux.