Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/291

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journée au Temps. Nefftzer ne veut plus y écrire. Scherer en fabrique un à Saint-Germain, avec Hébrard. Dans cette dislocation, Charles Edmond retient celui-ci, qui veut émigrer à Saint-Germain, modère celui-là, qui a des tendances communardes, arrête ce dernier, qui a des principes versaillais. J’entends tout cela par le vitrage ouvert d’un grand cabinet, où, couché sur un divan, dans l’ébranlement de la maison par la presse qui tire, j’ai le sentiment et le vague malaise du roulis, dans une cabine.

Le soir, dans le quartier du Luxembourg, la générale à tout coin de rue. J’entre chez un marchand de tabac. Des gardes nationaux déclarent dans une grande animation qu’ils marcheront contre les Versaillais, sans fusils. Et l’un s’écrie : « Contre ces cochons, — il parle des communards, — j’aurai toujours avec moi la force de mes bras ! » Je demande à la marchande de tabac ce que c’est ? Elle me répond qu’il y a des émeutes à la mairie… et la femme se met à pleurer.

Sous les arcades Rivoli, une jolie scène. Une fille, un peu tutoyée des deux mains par un garde national, se dérobe avec les fuites de corps et les révérences d’une soubrette se défendant contre le désir d’un grand seigneur. Puis le garde national, à une vingtaine de pas de là, dans un dandinement charmant et gouailleur, elle laisse siffler de sa bouche, avec un mépris intraduisible : « De la câanaille ! »