Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/312

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Jeudi 11 mai. — Tous les magasins des rues avoisinant la place Vendôme ont leurs glaces treillagées de bandes de papier.

C’est singulier, comme il faut aux documents historiques un enfoncement dans le passé, pour me toucher. Ai-je, des fois, envié le bonheur, qu’avait eu Manuel, à mettre la main sur les papiers, avec lesquels il a fait la Bastille dévoilée. Peut-être, si j’avais été son contemporain, la trouvaille ne m’eût été de rien. Je le sens à vivre, à peu près tous les soirs, à côté de Burty, entouré, barricadé de papiers, de notes, de dépêches, de carnets, trouvés aux Tuileries, et qui m’en lit, à tout bout de champ, des fragments qui m’assomment. Dans son enthousiasme, sa jubilation de trouveur, va-t-il jusqu’à vouloir me faire toucher du doigt, les précieux autographes, mes mains les repoussent machinalement. Après tout, la cause de mon peu de curiosité est-elle due à l’abondance de la télégraphie, qui donne aux épanchements impériaux un style trop nègre ?

Très souvent, le soir, je rencontre, chez Burty, Asselineau. Je ne connais pas un bavardage qui produise un ennui plus semblable à celui de la pluie, que le bavardage dudit. Pour n’être pas ennuyeux, à défaut d’autre chose, il n’est que besoin d’être tout simplement un peu passionné. Lui, c’est la melliflue et froide expansion de l’égoïsme d’un vieux garçon, doublée du rabâchage d’un bibliophile.