Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/322

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coup de malades, de mourants, ont été transportés au plein air du jardin, et dans le soleil et la verdure tendre, s’agitent des mains jaunes, et des yeux, au grand blanc, qui interrogent le regard du passant. Presque tous ont une femme près de leur lit de souffrance, et quelquefois de petits enfants jouent sur leurs draps.

Guichard fait le pansement d’un jeune homme, qui a eu la cuisse emportée par un éclat d’obus. Je lui demande machinalement, où il a été blessé : « À Auteuil, dans sa maison, où sa mère l’a retenu ! » Cette réponse me jette dans une inquiétude mortelle. Je me reproche la férocité de mon égoïsme et veux, dès le lendemain, aller chercher la pauvre fille restée dans ma maison, tout décidé à abandonner les choses à la grâce de Dieu.

Toute la journée, je l’avais passée dans la crainte d’un échec de Versailles, et dans l’agacement de cette phrase, plusieurs fois répétée par Burty, rencontré à l’ambulance : « Les Versaillais ont été sept fois repoussés ! »

Sous ces diverses impressions de tristesse, d’inquiétude, je m’en vais, ce soir, à mon observatoire ordinaire : la place de la Concorde.

Lorsque j’arrive sur la place, une foule énorme entoure un fiacre, escorté par des gardes nationaux. — « Qu’est-ce que c’est ? »

— C’est, me répond une femme, un monsieur qu’on vient d’arrêter… il criait par la portière que les Versaillais venaient d’entrer. »