Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/336

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habillée, ayant pour le moment où le feu prendrait à la maison, un paquet de ses hardes les plus précieuses, l’argenterie de la maison, disposée pour la mettre dans ses poches, et un matelas pour se mettre sur le dos, à l’effet de se préserver de tout ce qui vous tombait dehors sur la tête.

Toute la soirée, vu par la trouée des arbres, l’incendie de Paris : un incendie ressemblant, sur l’obscurité de la nuit, à ces gouaches napolitaines d’une éruption du Vésuve sur une feuille de papier noir.

Jeudi 25 mai. — Pendant la journée entière, le canon et le roulement des mitrailleuses. Je passe cette journée à me promener dans les ruines d’Auteuil. C’est du saccagement et de la destruction, comme en pourrait faire une trombe.

On voit d’énormes arbres brisés, dont le tronc haché semble un paquet de cotterets, des tronçons de rail pesant mille livres, transportés sur le boulevard, des écrous d’égout, des plaques de fonte de quatre pouces d’épaisseur, réduites en fragments de la grosseur d’une boîte de plumes de fer, des barreaux de grilles, noués, tortillés autour l’un de l’autre, comme une attache d’osier.

Parfois au milieu de cette dévastation, la surprise de rencontrer, attaché à une maison demi-écroulée, un grand rosier grimpant, qui bouche du fleurissement de ses roses, de la gaieté fraîche de ses couleurs, les fissures béantes et les débris pendants.