Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/54

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maisons. Entre une double haie de citoyens armés, remontent le boulevard, les baïonnettes des gardes nationaux allant à la Bastille ; descendent le boulevard, les baïonnettes des mobiles allant à la Madeleine : — un double courant étincelant sous le soleil d’éclairs d’acier, et qui ne cesse pas.

De toutes les rues débouchent des gardes nationaux en redingote, en vareuse, en bourgeron, avec au-dessus de leurs têtes, des chants qui n’ont plus rien de la note gamine ou crapuleuse de ces jours derniers, mais où semble aujourd’hui se recueillir le dévouement, et où paraît monter l’enthousiasme de cœurs héroïques.

Tout à coup, dans le bruit des tambours, un grand silence ému, des regards d’homme se rencontrant, comme dans un serment de mourir, puis de cet enthousiasme concentré sort un grand cri, un cri du fond de la poitrine, qui salue avec : Vive la France ! Vive la République ! Vive Trochu ! le galop rapide du général et de son escorte.

Le défilé commence de cette garde nationale, aux fusils fleuris de dahlias, de roses, de floquets de rubans rouges, défilé interminable, où le chant d’une Marseillaise, plutôt murmuré que crié, laisse au loin derrière la marche lente des hommes, comme les ondes sonores et pieuses d’une mâle prière.

Et à voir dans les rangs, ces redingotes, côte à côte, avec les blouses, ces barbes grises mêlées aux mentons imberbes, à voir ces pères, dont quelques-uns tiennent par la main leurs petites filles, glissées