Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/189

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me parle avec une certaine fièvre de son désir de faire de l’eau-forte.

Mardi 8 décembre. — Dans ce moment, c’est pour moi un intérêt de voir se métamorphoser en livre, ma laide et incorrecte écriture, d’assister à la jolie et proprette matérialisation d’une chose intellectuelle.

Ce sont d’abord des placards, encore humides, et à la fois recroquevillés et boursoufflés, se répandant sur toute ma table, au sortir de l’enveloppe : de grands morceaux de papier noircis d’un vilain imprimé, et n’ayant encore rien d’un volume. Puis viennent les premières feuilles, où ma pensée est dans le cadre d’une page, mais encore dansante, et toute pleine de maculatures et de grosses fautes bêtes, puis enfin se succèdent les secondes, les troisièmes feuilles, où peu à peu, dans le nettoyage spirituel et matériel, m’apparaît le livre qui sera mon livre.

Mercredi 9 décembre. — Ce soir, en fumant, les invités de la princesse causent d’une actrice de la Comédie-Française, quand tout à coup le vieux Giraud dit :

« C’est drôle, moi, j’ai manqué d’être son père ! »

Ah bah ! s’écrie-t-on, racontez-nous ça ?