Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/209

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Boudha. J’ai vu un académicien qu’on n’a pu me nommer, aux tirebouchons de poils dans les oreilles, et à la peau bleue du macaque sur les pommettes. J’ai vu un autre académicien, en calotte de velours noir, enterré dans un cache-nez de cocher, et ganté de gants de laine, qui n’ont qu’un pouce. On n’a pu encore me nommer celui-là. J’ai vu… J’ai vu…

À ce moment, la voix de vinaigre du vieux d’Haussonville a monté jusqu’à nous : une voix qui semblait la voix du vieux Samson, jouant le marquis de Giboyer.

Alors a commencé la chinoiserie, c’est-à-dire l’exécution du récipiendaire avec tous les saluts, les salamalecs, les grimaces ironiques, et les sous-entendus féroces de la politesse académique. M. d’Haussonville a fait entendre à Dumas qu’il était à peu près un rien du tout, que sa jeunesse s’était passée au milieu des hétaïres, qu’il n’avait pas le droit de parler de Corneille : une exécution, où se mêlait le mépris de sa littérature au mépris d’un grand seigneur pour un croquant.

Et après l’injure de chaque commencement de phrase, jetée d’une voix sonore, la tête dressée vers la coupole, il y avait chez le cruel orateur, un sourd plongeon de sa voix dans sa poitrine, pour le compliment banal de la queue des phrases, — et que personne n’entendait. Oui, il me semblait assister, dans une baraque de guignol, au plongeon ironiquement révérencieux de polichinelle, après le coup de bâton qu’il donne sur la tête de sa victime.