Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/257

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C’est bien singulier, dit encore Tourguéneff, c’est bien singulier comme quelquefois des natures pas lettrées trouvent des notes shakespeariennes.

Il y a à Saint-Pétersbourg, de petites voitures menées par un petit cheval, voitures qui ne coûtent pas cher, et que je prenais, quand j’étais jeune. On est derrière le cocher, tout près de son oreille, et je causais avec le cocher. Ces voitures sont conduites d’ordinaire par des paysans qui viennent faire une saison dans la capitale, et c’est rare, les paysans qui quittent leur maison, parce que notre paysan sait que son père couchera avec sa femme… Oui, c’est comme cela… J’avais donc pris un de ces cochers, et je vous disais que je causais avec lui. La course était longue. Il se met à me parler de sa femme qui était morte. Les Russes ne sont pas en général tendres, et celui-ci me parlait de sa femme avec une tendresse inexprimable.

— « Eh bien, qu’est-ce qui vous est arrivé, quand vous êtes entré dans sa chambre, lui dis-je.

— Je l’ai prise par le bras, et l’ai appelée par son nom, et Tourguéneff nous dit en russe, le nom de Marie.

— Et après ?

— Oh ! après, j’ai fait une chose bien bête, je me suis assis près de son lit, — et l’homme faisant le geste de battre la terre de la paume de sa main, ajouta au bout de cela, avec un éclair dans les yeux. — Oui, j’ai dit : Ouvre-toi, ventre insatiable !