Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/92

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nal — c’est pour moi le seul moyen de manger, quand je dîne seul — je suis tombé, sans que rien ne pût me le faire présager, je suis tombé sur la nouvelle de la mort de Théophile Gautier.

Ce matin, j’étais à Neuilly, rue de Longchamps.

Bergerat m’a fait entrer dans la chambre du mort. Sa tête, d’une pâleur orangée, s’enfonçait dans le noir de ses longs cheveux. Il avait, sur la poitrine, un chapelet, dont les grains blancs, autour d’une rose en train de se faner, ressemblaient à l’égrènement d’une branchette de symphorine. Et le poète avait ainsi la sérénité farouche d’un barbare, ensommeillé dans le néant. Rien là, ne me parlait d’un mort moderne. Des ressouvenirs des figures de pierre de la cathédrale de Chartres, mêlés à des réminiscences des récits des temps mérovingiens, me revenaient, je ne sais pourquoi.

La chambre même, avec le chevet de chêne du lit, la tache rouge du velours d’un livre de messe, une brindille de buis dans une poterie, sauvage, me donnaient tout à coup la pensée d’être introduit dans un cubiculum de l’ancienne Gaule, dans un primitif, grandiose, redoutable intérieur roman.

Et la douleur fuyante d’une sœur dépeignée, aux cheveux couleur de cendre, une douleur retournée vers le mur, avec le désespoir passionné et forcené d’une Guanamara, ajoutait encore à l’illusion.

25 octobre. — Je suis, pour l’enterrement du père,