Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/207

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Samedi 7 mai. — Me voici au bout de mon existence intellectuelle. Encore la compréhension et même l’imagination de la construction, mais plus la force de l’exécution.

Avec cela une détente de l’activité, une paresse du corps à bouger de chez moi, quand il n’y a pas là, où je dois aller, l’attrait de retrouver des personnes tout à fait aimées. C’est ainsi que ce soir, au lieu d’être à la première de la reprise de Claudie, dans la loge de Porel, prévenu que les Daudet n’y sont pas, je reste chez moi à rêvasser et à me réjouir, les yeux, sous la lumière de la pleine lune, de la légèreté de la grille de fer qu’on vient de poser au fond de mon jardin… Et regardant cela, je pensais avec tristesse au bourgeois imbécile, ou à la cocotte infecte, qui aura bientôt cette petite demeure de poète et d’artiste.

Dimanche 8 mai. — Curieux, ce Rosny, avec son profil de Persan et sa maladie de la contradiction. Et ça le prend comme une crise physique, la contradiction ! On le voit tout à coup abaisser la tête, regarder le plancher, tenir ses bras étendus entre ses cuisses ouvertes, et lâcher, lâcher de la parole, mêlée à des choses agressives. Puis l’expectoration faite, se lever et se tenir debout, en quelque coin, en quelque angle de meuble, et y demeurer tout gêné, et comme peiné de ce qu’il a fait.