Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mercredi 11 avril. — On racontait, ces dernières années, qu’un de nos jeunes clubmen des plus connus, avait frété un yacht, pour faire une sorte de tour du monde, en compagnie d’amis et de cocottes, et qu’au moment du départ, les mères des jeunes gens ayant témoigné des inquiétudes de ce voyage, et ayant laissé percer le regret, si quelqu’un ou quelques-uns venaient à périr, de n’avoir pas à pleurer sur un tombeau au Père-Lachaise ou à Montmartre ; on avait fait une place dans la cale, au milieu de la cargaison de pâtés de foie gras et de bouteilles de champagne, à des bières de plomb, et comme le soudage est une opération très difficile, on avait embarqué le soudeur avec l’équipage.

C’était drôle, ce memento mori qu’on heurtait, à tout moment, dans cette petite fête, autour du monde.

Mardi 11 avril. — Devant la persistance de mon mal d’yeux, et la crainte de devenir aveugle, je me dépêche d’emmagasiner en moi, le vert des arbres, le bleu des yeux d’enfants, le rose des robes de femmes, le jaune des affiches sur un vieux mur, etc.

Ce soir chez Daudet, répétition de la pantomime de Margueritte, où Invernizzi fait la Colombine rose, montée sur de hautes bottines noires. Dans son jeu mêlé de danse : une valse à l’effet de triompher de la résistance de Pierrot, une valse, les bras derrière le dos, d’une volupté charmante.