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bulance, et s’intéressant à la blessée, va la voir tous les deux ou trois jours. La cantinière le recevait avec plaisir, tout en répétant : « Ah ! si je pouvais savoir le cochon !… » Lui gardait parfaitement son secret. Enfin la femme n’avait plus que quelques jours à vivre. N’alla-t-il pas lui faire une dernière visite, mais ce jour-là, saoul, saoul comme une bourrique. Et quand la femme murmura : « Ah ! si je pouvais savoir le cochon !… », il ne put se retenir de lui dire : « Eh bien, c’est moi ! » Et la femme passa dans un accès de fureur.

Jeudi 9 juillet. — Il y a chez moi un oubli extraordinaire des pays étrangers que j’ai traversés, et j’entendais, ce matin, avec stupéfaction, un jeune homme qui racontait à un de ses amis un voyage, remontant à plusieurs années, et cela avec le nom des localités et la description des paysages, comme s’il les avait sous les yeux. Chez moi, cette mémoire n’a rien du ressouvenir des choses réellement vues, c’est plutôt comme la réminiscence de choses rêvées.

Daudet nous dit, ce soir, qu’il s’est aperçu tout à coup l’année dernière, à Champrosay, qu’il ne pouvait plus courir, sur l’invite de Zézé, lui ayant crié : « Papa, cours après moi. » Ça avait été un effort énorme et rien !… Ses pieds s’étaient refusés à battre l’espace comme les palettes d’une roue, et maintenant