Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/81

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on ne doit pas apercevoir de fumée à la cheminée de sa chaumière : la femme est censée devoir se nourrir, pendant son absence, d’oignons, de salade, de figues.

Daudet m’entretenait aujourd’hui de sa jeunesse dans ce pays de soleil, au milieu de ces belles filles lumineuses, se laissant rouler sur les bottes de paille et embrasser sur la bouche, et cela en compagnie d’Aubanel chantant sur les chemins : La Vénus d’Arles ; du grand et jamais enroué Mistral, haranguant les paysans avec une pointe de vin, drolatiquement éloquente ; du peintre Grivolas, ce ménechme du philosophe de Couture, dans son tableau de l’Orgie romaine, et qui avait pour mission de déshabiller et de coucher les ivrognes.

Une heureuse jeunesse appartenant tout entière au bonheur sensuel de vivre, en cette contrée de lumière, d’amour et de vin du Château des Papes, et où, dans la cervelle du romancier futur, ne s’était point encore glissé le souci littéraire.

Samedi 26 septembre. — Excursion aux Baux. Une éternelle chaîne de rochers, aux dentelures étranges, et à l’extrémité de cette chaîne, une ville dont les habitations sont en partie creusées dans la pierre, une ville où l’on ne sait pas où finit la roche, où commence la construction, — et une ville abandonnée, où semblent à la fois avoir passé un incendie et une peste.