Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/192

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peintre de la contemporanéité, il a été un résurrectionniste, à la façon de Carlyle et de Michelet, des vieux mondes, des civilisations disparues, des humanités mortes. Il nous a fait revivre Carthage et la fille d’Hamilcar, la Thébaïde et son ermite, l’Europe moyenageuse et son Julien l’Hospitalier. Il nous a montré, grâce à son talent descriptif, des localités, des perspectives, des milieux que, sans son évocation magique, nous ne connaîtrions pas.

Mais permettez-moi d’aimer surtout, avec tout le monde, le talent de Flaubert dans Madame Bovary, dans cette monographie de génie de l’adultère bourgeois, dans ce livre absolu, que l’auteur jusqu’à la fin de la littérature, n’aura laissé à refaire à personne.

Je veux encore m’arrêter un moment, sur ce merveilleux récit, sur cette étude apitoyée d’une humble âme de peuple qui a pour titre : Un cœur simple.

En votre Normandie, Messieurs, au fond de ces antiques armoires, qui sont la resserre du linge, et de ce qu’a de précieux le pauvre monde de chez vous, quelquefois vos pêcheurs, vos paysans, sur les panneaux intérieurs de ces armoires, d’une maladroite écriture tracée par des doigts gourds, mentionnent un naufrage, une grêle, une mort d’enfant, enfin une vingtaine de grands et de petits événements : l’histoire de toute une misérable existence. Cet envers écrit de leurs armoires, c’est l’ingénu Livre de raison de ces pauvres hères. Or, Messieurs, en lisant Un cœur simple, j’ai comme la sensation de lire une histoire qui a pris à ces tablettes de vieux chêne, la