Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/202

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nerveux prendre un verre de chartreuse, au café voisin, où je dis à l’auteur de la pièce : « Avec ce public, n’en doutez pas un moment, le premier acte va être emboîté, et la seule chance que nous puissions avoir, c’est qu’Antoine relève la pièce au second acte. »

Au lever de la toile, je suis au fond d’une baignoire, où j’ai devant moi, des jeunes gens qui commencent à pousser des oh ! et des ah ! aux vivacités de la première scène. Mais aussitôt, ils se taisent, ils se calment, et je les vois bientôt applaudir comme des sourds.

Nau est l’actrice qu’on pouvait rêver pour ce rôle. Elle est bien filliasse au premier acte, et bellement et modernement tragique au troisième. Janvier est le vrai séminariste en pantalon garance. Et la petite Fleury est toute pleine de gaîté et d’entrain, dans son rôle de Marie Coup de Sabre. Antoine se montre un acteur tout à fait supérieur. C’est de lui, dont Rodenbach traversant hier le boulevard, avait entendu un monsieur qui avait assisté à la répétition, disant à un autre : « À l’heure actuelle, il n’y a pas au Palais, un avocat foutu de plaider une cause, comme Antoine a plaidé hier. »

Dans le couloir, j’ai entendu une phrase typique : « Ce n’est pas du théâtre, mais c’est très intéressant ! » Non ce n’est plus du vieux théâtre, c’est du théâtre nouveau ! Au fond, j’ai vu rarement applaudir sur un théâtre un acte, comme j’ai vu applaudir la Cour d’Assises. Incontestablement la Fille Élisa est un des gros succès du Théâtre-Libre.