Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/274

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Jeudi 13 août. — Il faisait, ce jour d’août, une chaleur écœurante, où la fadeur du ruisseau montait dans l’air sans souffle. Me trouvant sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois, je songeais tout à coup à la fraîcheur de la salle du rez-de-chaussée du Louvre, en face de moi, à ces catacombes de la vieille Égypte pharaonique.

Et me voilà devant le colossal sphinx de granit rose de l’entrée, devant cette puissante image de la royauté, soudant une tête d’homme à un corps de lion, dont les pattes reposent sur un anneau : symbole d’une longue succession de siècles.

C’est un Ramsès, le fils de celui dont le nom a fait le tour du monde par les exploits de son bras, dont les victoires sculptées ornent les murs d’Ibsamboul, de Louqsor, du Ramasseum, et pendant que mon esprit est à sa glorieuse campagne contre les peuples de l’Asie occidentale, où, séparé de son armée, et attaqué par un corps de 2 500 chars, il n’échappe à la mort que par des prodiges de valeur, une voix de ventriloque, une voix comique de Bridoux, parlant avec un gardien de la permutation d’un camarade dans une brigade du Nord, me tire de ma rêvasserie, presque colère, et me chasse plus loin.

Et je m’enfonce au milieu de ces effigies d’une humanité antérieure à Jésus-Christ de 2 500 ans, je m’enfonce parmi ces femmes jaunes, à la taille menue, aux hanches peu développées, aux cuisses charnues, à la chevelure pareille à celle de la fille de Seti II, dont le noir des cheveux était le noir de la