Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En ce siècle de respect et de conservation de l’autographe, le balayage, la jetée aux ordures des manuscrits, des lettres de Balzac, a été encore plus étonnante, plus renversante, plus incroyable, que le récit courant qu’on en fait. Balzac mort, les créanciers se précipitaient dans la maison, mettaient à la porte par les épaules la femme, se ruaient contre les meubles, dont ils jetaient par terre tout le contenu, tout le papier écrit, qui dans une vente savante, aurait pu faire, dit M. de Lovenjoul, 100 000 francs. Et cela se donnait, cela se ramassait dans la rue, par qui voulait.

C’est ainsi, que M. de Lovenjoul a découvert dans l’échoppe du savetier qui demeurait en face, la première lettre de Balzac à Mme Hanska, ou du moins la première page de cette lettre, et que le savetier était, au moment où il entrait, en train de rouler pour allumer sa pipe. Et le savetier intéressé par lui, à la retrouvaille de tout ce qui avait été jeté dans la rue, lui faisait mettre la main sur deux ou trois cents lettres, sur des ébauches d’études, sur des commencements de romans tout prêts à devenir des cornets, des sacs, des enveloppes de deux sous de beurre, chez les boutiquiers des environs, et en dernier lieu chez une cuisinière, qui mettait plusieurs années à se décider à lui vendre un gros paquet de lettres. Et la chasse était amusante, parce que dans l’éparpillement de la correspondance, il retrouvait dans une boutique la fin d’une lettre, dont il avait découvert le commencement dans la boutique d’à côté, et il