Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/83

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Un type particulier, ce paysan d’une race supérieure, d’une race aristocratique, chez laquelle le travail des champs, sous le beau ciel du Midi, prend une idéalité qu’il n’a jamais eue dans le Nord.

Dans cette biographie, tout émaillée d’expressions provençales, que le raconteur de lui-même, jetait en marchant dans les allées du parc, il était question de deux mariages : d’un mariage avec une Mistral, lui apportant des millions, et qu’il avait rompu avec une grande tristesse d’âme, en rentrant dans son domaine, sur le sentiment qu’il éprouvait de la disproportion de son avoir et de celui de sa femme, et dans la crainte que cette grande fortune ne lui fît perdre les éléments inspirateurs de sa poésie.

Quant à l’histoire du mariage qui s’est réalisé, elle est vraiment charmante. L’article de Lamartine sur Mireille avait amené une correspondance de Mistral avec une dame de Dijon, et un jour qu’il passait par la Bourgogne, il faisait une visite à sa correspondante. Des années, beaucoup d’années se passaient, et tous les soirs, en mangeant avec sa mère, c’étaient des phrases dans le genre de celle-ci : « Les hommes, c’est fait pour se marier… pour avoir des enfants… toi, quelle sera ta vie, quand je n’y serai plus… tu auras une bonne avec laquelle tu coucheras ? » Une nuit, après une de ces gronderies, Mistral se rappelant une toute petite fille, qui le regardait avec de beaux grands yeux, lors de la visite qu’il avait faite à la dame de Dijon, et qui était sa