Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/88

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depuis quelques instants, pris de douleurs intolérables d’estomac, demande à aller se jeter, une minute, sur un divan dans la chambre de Drumont.

Cette sortie jette un froid parmi nous deux, restés à table. Il y a un silence, au bout duquel Drumont jette cette phrase inattendue :

— Pourquoi sommes-nous sur la terre ?… Pourquoi sommes-nous réunis dans ce moment ?… Pourquoi en face de ce paysage, nous livrons-nous à des conversations supérieures ?

Et Drumont dit cela, en se donnant des coups de doigts révoltés, dans sa noire crinière, où une mèche se déroule, tortillée sur son front à la façon d’une mèche de Gorgone, tandis que ses yeux de scribe moyenâgeux, encastrés dans leurs minces lunettes, sont abaissés sur les fleurs de son assiette.

Daudet est rentré, et assis, à demi couché sur une petite table, pendant qu’il prend à de lentes avalées, une tasse de café, interrompant soudain nos doléances sur la société moderne et sa veulerie, il se met à parler éloquemment sur la ressemblance de la génération actuelle avec Hamlet, de cette génération chez laquelle, selon une expression de Baudelaire, l’action ne correspond pas avec le rêve, prétendant que l’époque ne comporte pas l’action.

Lundi 12 août. — Hayashi est venu chez moi, et a passé la journée à me déchiffrer des noms d’artistes japonais sur mes bibelots.