Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/80

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ses petites commissions, me faisant l’accompagner au jardin, porter le panier où elle mettait les fleurs, qu’elle choisissait elle-même pour les vases des salons, s’amusant de mes pourquoi, et me faisant l’honneur d’y répondre sérieusement. Et je me tenais un peu derrière elle, comme pris d’un sentiment d’adoration religieuse pour cette femme, qui me paraissait d’une essence autre, que celle des femmes de ma famille, et qui, dans l’accueil, le port, la parole, la caresse de la physionomie, quand elle vous souriait, avait sur vous un empire, que je ne trouvais qu’à elle, qu’à elle seule. Et il arrivait que ma mère, se trouvant sans autorité sur moi, quand j’avais commis quelque méfait, la chargeait de me gronder, et ma tante, par quelques paroles hautainement dédaigneuses, me donnait, sans que jamais, il y eût chez moi l’instinctive révolte du garçonnet en faute, me donnait une telle confusion, que je ressentais une véritable honte d’une peccadille.

Du reste pour mieux connaître la femme, et, je le répète, l’influence qu’elle a exercée sur moi, voici l’un de ces dimanches de Ménilmontant, que j’ai publié dans La Maison d’un Artiste.

 

« Vers les deux heures, les trois femmes, habillées de jolies robes de mousseline claire, et chaussées de ces petits souliers de prunelle, dont on voit les rubans se croiser autour des chevilles, dans les dessins de Gavarni, de La Mode descendaient la montée, se dirigeant vers Paris. Un charmant trio,