Page:Goncourt - La Fille Élisa, Charpentier, 1877.djvu/243

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dire. Elle faisait cela, le linge qu’elle cousait tout rapproché de son visage, prêt à étouffer dans sa bouche un mot devenant imprudemment sonore. Mais un jour, ce parlage incomplet ne la satisfit pas. Comme si, chez elle, la poche aux paroles crevait ou plutôt comme si elle voulait s’assurer si elle avait encore dans le cou cela qui fait des sons humains, ― au milieu de l’étonnement de la salle de travail qui la crut attaquée de folie, ― Élisa se mettait à jeter des mots, des phrases sans suite, des sonorités retentissantes, et se dérouillant tout à l’aise le gosier, en dépit des objurgations de la sœur, continuait à monologuer tout haut, jusqu’à ce qu’on entraînât hors de la salle la prisonnière grisée par le bruit de sa bouche et laissant derrière elle, au milieu du silence continu, l’écho long à mourir de ce verbe entré tout à coup en révolte.