Page:Goncourt - Les Frères Zemganno, 1879.djvu/22

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La femme au maillot, qui avait mis son enfant auprès d’elle sur un coin du tapis, soupait de sa vue et avec des yeux qui semblaient vouloir entrer dans sa chair aimée. Le repas était silencieux ainsi que les repas entre des gens affamés, fatigués, et distraits sous des branches, au bord d’un fleuve, par les spectacles d’une nuit d’été, des vols d’oiseaux nocturnes, des sauts de poissons, des allumements d’étoiles.

« Ma place, » faisait le pitre en bousculant avec rudesse l’homme à la lamentable redingote, le trombone de la troupe. Et le pitre se mettait à manger goulument, pendant que s’élevait un instant dans le ciel éteint une sonnerie qui avait l’air de sortir d’une lointaine cloche de cristal, de lents tintements, d’angéliques ondes sonores, une musique célestement mélancolique et si étroitement fondue dans l’air du soir, que lorsqu’elle cessa, elle semblait encore s’entendre.