Page:Goncourt - Madame Gervaisais, 1869.djvu/57

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L’enfant un peu las d’aller, de marcher, de chercher dans l’herbe, était resté attardé à quelque vingt pas en arrière, quand tout à coup sa mère retourna la tête à une voix d’italienne chantant un morceau d’opéra : c’était, au milieu d’un cercle de quelques promeneurs arrêtés, une femme pauvrement et décemment vêtue, derrière laquelle se tenait un vieillard ayant en main un violon qu’il laissait muet. Et tout à fait près des chanteurs, assis sur un tronc de pin abattu, madame Gervaisais aperçut son fils dont la petite main levée au-dessus de sa tête menait le rythme du chant avec une fleur qu’il promenait dans l’air, ainsi que le bâton d’un chef d’orchestre. Tout le monde le regardait, regardait sa beauté, son regard profond, le blanc venu à son front au-dessus de ses sourcils, ce soudain rayon d’intelligence et de passion, cette espèce d’envolée de tout le petit être dans le chant de la grande artiste en plein vent. Et le vieillard même, avec sa tête de vieux chanteur, grave et triste, suivait la main de l’enfant, lui souriant comme du fond de