Page:Goncourt - Préfaces et Manifestes littéraires, 1888.djvu/47

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il allait, en cachette de ma mère, au bal de l’Opéra… Elle était la femme, la garde-malade admirable, dont ma mère en mourant avait mis les mains dans les nôtres… Elle avait les clefs de tout, elle menait, elle faisait tout autour de nous. Depuis vingt-cinq ans, elle nous bordait tous les soirs dans nos lits, et tous les soirs c’étaient les mêmes plaisanteries sur sa laideur et la disgrâce de son physique… Chagrins, joies, elle les partageait avec nous. Elle était un de ces dévouements dont on espère la sollicitude pour vous fermer les yeux. Nos corps, dans nos maladies, dans nos malaises, étaient habitués à ses soins. Elle possédait toutes nos manies. Elle avait connu toutes nos maîtresses. C’était un morceau de notre vie, un meuble de notre appartement, une épave de notre jeunesse, je ne sais quoi de tendre et de grognon et de veilleur à la façon d’un chien de garde que nous avions l’habitude d’avoir à côté