Page:Goncourt - Quelques créatures de ce temps, 1878.djvu/292

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ent comme une aube, je m'amusais à rêver. Je rêvais que s'il m'arrivait de vendre un livre trois cent mille francs, je les dépenserais ainsi: dans l'entre-deux de mes deux fenêtres, à ces deux rubans plats surmontés d'un gros gland où pendaient les tableaux de l'hôtel Soubise,--les gravures m'ont montré cela,--je pends le dessin qui n'existe pas--du _Chat malade_ de Watteau; les joues de la gentille commère effarée, caressées et battues d'une rouge sanguine, et sa belle prunelle allumée de crayon noir, l'empressement grotesquement charbonné du docteur, et Minet qui si furieusement se défend de guérir,--je les vois. C'est bien. Au dessous du chat malade, voici installé ce secrétaire signé Riesener au pied gauche du meuble, qui était à vendre 30,000 francs, je ne sais plus où. Sur le secrétaire, il trône, ébouriffé, vieux de trois siècles, beau comme un cauchemar, un chien de Fô d'ancien bleu céleste, la crinière violette, la gueule en tirelire, roulant sous ses sourcils deux boules furibondes, la queue en une énorme flamme,--ce monstre chinois qui m'a fait une si mémorable grimace au coin d'une rue d'Anvers. De chaque côté, c'est fort simple,